Baisser les taxes sur le pétrole ?

Publié le 2 Juin 2008

Ci-dessous un courriel que j'ai envoyé il y a quelques jours aux sympathisants socialistes de Gentilly :


Il semble y avoir un quasi consensus en France (dans le monde politique, mais c'est aussi je crois -je crains- l'avis de "Monsieur Tout-le-monde") sur la nécessité de réduire les taxes sur le pétrole. Ceux qui ont  assisté au débat public que la section de Gentilly avait organisé avec Jean-Marc Jancovici sur le réchauffement climatique et le "peak oil" doivent avoir quelques doutes sur l'opportunité de ce type de mesures. Personnellement je suis assez désespéré par la démagogie ou l'ignorance que cela révèle.

La réalité est que la réduction des taxes sur le pétrole aurait (je n'ose pas écrire aura) pour effet (1) d'augmenter les revenus des producteurs de pétrole et probablement aussi des distributeurs (2) de retarder la transition vers la sobriété énergétique.

Dans pas mal de pays, et tout particulièrement en Chine, les consommateurs sont "protégés" de la hausse des prix de l'énergie grâce à des subventions massives qu'ils paient par leurs impôts évidemment (mais presque personne ne fait ce genre de lien...) et c'est une catastrophe absolue : le résultat est la continuation d'une consommation effrénée d'énergie, sans amélioration de l'efficacité  énergétique. La probabilité que pour remplir les millions de nouveaux réservoirs mis chaque année sur les routes il soit nécessaire de passer à la liquéfaction du charbon quand le pétrole trop rare sera vraiment devenu inabordable (c'est à dire qu'il sera plus cher que les carburants synthétiques issus du charbon) augmente de jour en jour. Et là les pires scénario climatiques se réaliseront (+4°C). Les biocarburants de la première génération étant peu efficaces et contribuant à la crise alimentaire mondiale (concurrence pour l'usage des terres), seuls ceux des deuxième et troisième générations pourraient aider à se passer du pétrole, mais ce n'est pas pas pour demain et pas nécessairement à la hauteur des besoins ; la voiture électrique n'a d'intérêt que si l'électricité est produite avec des énergies renouvelables ou au moins non émissives de gaz à effet de serre donc il ne s'agit pas d'une vraie solution... La seule stratégie "soutenable" est la baisse de la consommation d'énergie, à commencer là où elle est la plus élevée. Dans les pays développés nous devrions en être à la mise en place de taxes sur l'énergie (ou le CO2) à croissance programmée et à la répartition des recettes qu'elles dégageront (transports publics, rénovation énergétique accélérée du parc de logements, éventuellement baisse des taxes sur les bas salaires...)

D'accord pour aider les personnes et les professions les plus exposées à la hausse du prix du pétrole mais de grâce pas en baissant les taxes ou en subventionnant l'achat de carburant. Chèque transport(*) pour tous (évidemment pas pour les seuls propriétaires de voitures polluantes ; la proposition que je discutais là a été mise en place par Villepin mais est très insuffisante et facultative pour les entreprises dont une poignée seulement l'appliquent), aides à la reconversion pour les pêcheurs (est-il raisonnable de subventionner les sorties en mer d'une flotte de pêche parmi les moins modernes d'Europe qui engloutit des quantités impressionnantes de gazoil en épuisant les ressources en poissons?), pour les conducteurs de poids-lourds, etc.

((*): le PS a raison de mettre en avant cette mesure. Reste à en définir les modalités)


Quelques lectures sur le sujet :
-une interview de Jancovici dans Libé, qui se termine sur la possibilité qu'il soit déjà trop tard pour réagir... (mais il est plutôt pessimiste de nature !)
-un article dans Ecopublix, un blog d'économie, qui explique pourquoi c'est au Koweit qu'on doit se frotter les mains en entendant les propositions de baisse de taxe sur le carburant
-un billet du blogueur Guillermo, avec qui je suis globalement d'accord, mais il est intéressant de lire aussi les commentaires qui permettent parfois de nuancer le propos
-incontournable, le dernier rapport du PNUD "Human Development Report 2007/2008, Fighting climate change: Human solidarity in a divided world", désolé je ne l'ai pas trouvé en français


J'ai déjà été très long, mais pour ceux qui n'auraient pas décroché voici ce que je réponds à mes amis qui aident à propager des messages appelant au boycott de quelques compagnies pétrolières (pas  pour toutes et pas permanent, sinon j'applaudirais !), autre soit disant solution au pétrole cher :
(j'ai envoyé pour le première fois le texte suivant l'année dernière, l'appel qui m'a fait réagir a l'air de bien circuler)

-Le pétrole est en passe d'atteindre son pic de production, c'est à dire que la production possible déclinera inexorablement bientôt (certains experts pensent que c'est déjà le cas) : le pétrole ne peut qu'être de plus en plus cher (celui qui reste à extraire étant par ailleurs de plus en plus coûteux à extraire). Et cela jusqu'à ce qu'on cesse de l'utiliser (il en restera encore beaucoup à ce moment là : on a arrêté d'utiliser de l'huile de baleine pour s'éclairer avant d'avoir éliminé toutes les baleines... principalement parce qu'on avait trouvé mieux, c'est à dire moins cher). ça c'est pour l'offre.
-Du côté demande la pression à la hausse est forte aussi, du fait d'une croissance forte et relativement intensive en énergie dans les pays émergents (Chine en tête).
 
ça n'empêchera pas le prix du pétrole de connaître des fluctuations importantes autour de cette tendance croissante. Par exemple une récession prononcée au Etats-Unis (probablement pas indolore pour nos économies) pourrait facilement ramener le baril à 50 euros ou moins. Mais ça ne durerait pas.
Ces fluctuations dépendent aussi :
-des décisions des plus importants pays producteurs (de leurs compagnie nationales beaucoup plus que des multinationales qui aujourd'hui "contrôlent" des quantités bien moins importantes) qui peuvent ouvrir plus ou moins grand le robinet. Mais, contrairement aux années 70, cette capacité a beaucoup faibli.
-de la spéculation, achat ou vente de pétrole livrable dans le futur qui souvent amplifient les fluctuations (à la hausse mais aussi à la baisse). il faut noter que c'est l'existence de spéculateurs qui parient sur le prix futur du pétrole qui permet à des entreprises de se couvrir contre les fluctuations en achetant le droit de fixer aujourd'hui le prix auquel elles achèteront leur pétrole demain.
-évidemment des risques géopolitiques (Irak, Iran...)
-de la météo et des catastrophes climatiques (saison des cyclones...)
 
On peut toujours essayer de faire baisser les bénéfices de Total et de Shell, ça ne changera strictement rien au prix du pétrole (qui à la pompe en France dépend à plus de 60% des taxes -ce qui est très bien d'ailleurs !).
A supposer que le boycott fonctionne, la valorisation boursière de Total s'effondrerait, en faisant une belle proie pour d'autres pétroliers. Un rachat par une compagnie étrangère ne serait pas bien grave mais n'aurait aucun intérêt pour les français. En désorganisant le secteur de la distribution on pourrait très bien se retrouver avec un prix à la pompe supérieur. Et moins de concurrence pour les compagnies non boycottées c'est une aubaine !
Évidemment on peut envisager une taxe exceptionnelle sur les profits des pétroliers (tous, pas de raison d'en choisir un ou deux). L'intérêt collectif à long terme reste discutable mais admettons. Dans ce cas les rentrées fiscales ne devraient surtout pas être affectées à la réduction du prix du pétrole mais plutôt à des mesures facilitant l'adaptation au pétrole cher et à "l'après-pétrole" (transports collectifs, énergies renouvelables, recherche...)
 
De gré ou de force il va falloir faire avec un pétrole cher et fluctuant.
Et effectivement utiliser moins nos chers voitures, les acheter plus petites, rouler moins vite, etc.
Pour la planète ce sera d'ailleurs assez bienvenue!



Bonne journée, avec le moins possible de pétrole dedans !

Rédigé par Guillaume

Publié dans #Développement durable

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G
A lire dans le blog d'éconoclaste "Le diesel au prix de l'essence"http://econoclaste.org.free.fr/dotclear/index.php/?2008/06/10/1283-le-diesel-au-prix-de-l-essence[... ] Quant aux compagnies pétrolières, elles<br /> récupéreront sous forme de prix plus élevé du gasoil tout ce qu'on leur<br /> aura fait symboliquement payer comme "primes" aux consommateurs. La<br /> taxe Total, dont on parle actuellement, et qui n'est prélevée qu'auprès<br /> de cette compagnie, revient donc à prendre une partie des bénéfices de<br /> celle-ci, pour les redistribuer à ses concurrents. Gageons qu'ils<br /> seront très reconnaissants au gouvernement français pour ce petit geste<br /> sympathique.
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